
C’est fut tout à fait intéressant de consacrer deux soirées (en 160 pages largement agrémentées de photos et de documents d’époque, le livre se lit très vite) pour me plonger dans le récit de ce double assassinat politique de Karl Roos, homme politique alsacien du siècle dernier, dont je n’avais jamais entendu parler. de ce fait, toute la partie du propos visant à démythifier le personnage ou le laver de certains soupçons comme d’avoir été nazi, un espion allemand ou d’avoir touché de l’argent du Reich, m’a moins touché, me focalisant sur ce que le portrait de ce catholique alsacien né Allemand et devenu Français en 1919, disait encore de la complexité de notre positionnement politique en tant qu’Alsaciens.
< Je laisse ici de côté le passage sur ce sujet que je publierai peut-être un jour ailleurs, qui ne regarde pas les « Français de l’intérieur » >
Aussi, je me suis passionné à la lecture de ce récit montrant comment, après avoir décidé de ne pas aider directement les autonomistes alsaciens financièrement, pour ne pas les compromettre, ou de ne pas avoir tenté d’en faire des espions parce qu’ils n’avaient aucune information à leur fournir, les Nazis ont récupéré Roos contre les Français, en renommant la place Kléber de Strasbourg, à son nom. C’est bien pourquoi après avoir été trahi par un de ceux qu’il avait aidé, son chauffeur et secrétaire Julien Marco, et tué physiquement par un pays, la France, contre lequel il ne s’était pas élevé (il demandait simplement son droit à rester germanophone et à vivre sa culture alsacienne sans passer par la guillotine culturelle, égalisatrice, républicaine et jacobine), Roos a été manipulé par des gens avec qui il n’avait rien à voir sinon la langue allemande. Au-delà de son cadavre perdu – et peut-être sauvegardé –, Roos a fait l’objet d’un enjeu de mémoire, qui montre bien une fois de plus combien la recherche historique est fragile, qui doit sans cesse batailler au milieu des jeux de pouvoir et des narrations que de nombreux lobbies veulent imposer, au mépris de la vérité.
On sent bien, cependant, dans les propos de l’auteur, que son livre vient répondre à des accusations portées contre Karl Roos, non seulement dans les années 1920 par la police française ou en 1940, date à laquelle celle-ci peut l’exécuter après un procès presque kafkaïen, mais par l’historiographie. Un livre de 2012 présente Roos comme un antijuif et la question semble malheureusement planer sur le livre sans que l’auteur ne l’aborde. Si elle n’est pas centrale – Roos ne semble pas, d’après Wittmann, s’être intéressé particulièrement aux Juifs, qui étaient plus soucieux de la langue alsacienne et de la culture de sa région – pourquoi avoir placé Roos dans son titre aux côtés du Juif Dreyfus, pour les faire frères d’injustice ? On sent bien ici la même volonté que Georges Bernanos dans les « Grands cimetières sous la lune » (qui souhaitait démarquer un certain camp conservateur du franquisme), de placer son homme dans le camp du Bien. Or, face à des crapules, l’Empire franc-maçon français ou l’empire pagano-racial allemand, il n’y a pas à se justifier d’être du camp du Bien ou montrer pattes blanches. Quand on sait ce que furent les États-Unis de l’après Seconde Guerre Mondiale ou la colonie belliqueuse et raciste installée en Palestine, il n’y a pas à s’abaisser à démontrer quoi que ce soit, surtout quand on défend son droit à son identité. Quiconque est parfait jette la première pierre, donc, comme dirait le messie de Roos. Que ce dernier ne fût pas nazi, soit, il était chrétien et s’il y a eu certains quiproquos entre catholiques et nazis – on peut penser à Carl Schmitt par exemple –, et semble n’avoir jamais été tenté par le national-socialisme contrairement à d’autres autonomistes avec qui il s’était allié. Mais se sentir obliger de comparer Roos à Dreyfus n’est pas sérieux. Certes, ce dernier n’était pas forcément coupable parce qu’Alsacien (malgré son frère …Allemand) ou Juif, mais – attention, si, si, c’est vrai ! – ce n’est pas parce qu’il était Juif Alsacien qu’il ne pouvait pas être coupable. Et peut-être même bien qu’il le fût, tout simplement. Ce n’est donc pas très charitable ou cohérent d’essayer de défendre un autonomiste alsacien ou de faire de l’Histoire sérieuse, en la rapprochant de la grosse propagande gauchisto-juive saupoudrée d’accusations ignobles contre l’Armée française et de spectacles cinématographiques communautaires façon Roman Polanski. Dreyfus n’avait rien à faire avec Roos, et cette concession à la mémoire nuit à un livre qui se veut sérieux et sans aucune fioriture d’écriture… Quand on veut faire de l’Histoire, on pose des faits et on laisse le terrain miné et minable de la mémoire et de l’émotionnel tapageur au loin. Donc, accoler Roos à la galère Dreyfus n’était pas la meilleure idée pour tenter de rétablir un peu de sérieux dans l’affaire. de fait, comme, en plus, le rapprochement n’est établi que dans le titre je pense que lors d’une réédition ou d’une édition augmentée, il serait sans doute plus sage de laisser le capitaine à son histoire falsifiée et Roos à la sienne (même si on ne les jette pas, chacun son caillou dans sa chaussure).
Enfin, Bernard Wittmann retrace assez bien dans les deux premiers chapitres ainsi que dans le chapitre 4, la difficulté de la position de Roos, coincé entre une France qui ne voulait pas de lui tel qu’il était et une Allemagne qui n’était plus la sienne. le propos est assez clair et qui va à l’essentiel, même si on aurait pu imaginer un glossaire des partis et de leur(s) alliance(s), ainsi que leurs principaux représentants, pour s’y retrouver.
Deux détails, toutefois à noter : la mise en gras de certains éléments de la page sont totalement inutiles (ça fait livre scolaire, en plus…) et la double appellation des noms de villes en alsacien et français assez alambiquées : dans un texte en français la francisation s’imposait, à moins de ne garder que le nom alsacien et de placer une correspondance en une page à la fin pour les étourdis, puisque 90% des noms sont transparents même pour un non-germanophone.
Au final, ce fut une très bonne lecture et un sujet d’interrogation pour moi : même si je suis un Français contre-révolutionnaire, en tant que francophone, que ferais-je si l’Alsace redevenait allemande et qu’on niait ma francophonie (militante) pour m’obliger à parler allemand ? Irais-je jusqu’à m’allier aux Francs-Maçons ou Jacobins ? (La pierre, le caillou, et il faut bien imaginer Sisyphe heureux malgré tout…)
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Reçu dans le cadre de l’opération « Masse critique » non-fiction de Babelio. Que l’éditeur soit spécialement remercié pour la jolie écriture sur l’enveloppe et l’adresse en alsacien !
Photo d’entête : « Strasbourg – 2016 » par stefano Merli